Révoltes coloniales françaises

Le massacre de Mahajanga :

L'air lourd de Madagascar est fatiguant, tous les européens le savent. Pour le curé de la paroisse de Mahajanga, sur la côte occidentale de la grande île malgache, cette fin de journée était particulièrement pénible. La pluie tombait sans arrêt, rendait l'air aussi épais que la plus épaisse des brumes de sa Normandie natale.

Le Père Gouriot, installé ici depuis maintenant 25 ans, est un vieillard. Habitué des colonies, il y a passé l'entièreté de sa carrière ecclésiastique. Mais la scène qui se déroule devant sa petite église de bois est inhabituelle. Un attroupement de jeunes gens, probablement ivres, semble se transformer en bagarre. On entend des hurlements par dessus le bruit de la pluie, chose remarquable, se dit le Père Gouriot. En s'approchant, pour mettre fin à l'affrontement, il voit gisant au sol un jeune homme qui lui est familier. C'est
Aintsoa, son garçon de messe. Il git au sol, le ventre ensanglanté, et inconscient.

- " Mon Dieu, mais qu'avez-vous fait ?" crie le curé en se précipitant à genou
- " C'est un salopard, toi aussi tu es un salopard ! " hurle un des jeunes garçons ivre
- " Faites de la place, s'il vous... "

Le Père Gouriot ne terminera pas sa phrase. La lame d'une machette vient de se planter fermement dans sa nuque. On s'écarte. Seul l'assassin se tient désormais debout, à côté du curé agenouillé qui semble tenir dans cette position par la force du Saint Esprit. Un deuxième coup de machette dans la nuque le jette au sol, mort.

La nouvelle de l'assassinat d'un curé européen se répand comme une trainée de poudre à Madagascar. Dès le lendemain du jour fatidique du 24 septembre 1919, la troupe coloniale envahit Mahajanga. On cherche le suspect, mais personne ne répond. On ne sait pas où il est, vous savez il faut enterrer Aintsoa et le Père Gouriot. Alors le caporal de la troupe coloniale ordonne l'exécution de 10 civils en punition. Ils sont tués par balle dans la soirée du 24 septembre.

La trainée de poudre s'enflamme, et explose. Le 27 septembre à Antanarivo, trois commerçants français sont agressés, l'un mourra de ses blessures. Rebelotte, la punition est collective. On tue 35 civils cette fois-ci. La politique répressive intense de l'Armée française envenime la situation, et dans toutes les bouches du pays on murmure que cette-fois ci c'en est trop.

Echauffourrées malgaches :

Entre novembre et décembre 1919 les tensions se sont accrues à Madagascar qui ressemble désormais à une poudrière. La France a dépêché pas moins de 12 000 soldats sur l'île, 12% du total de son armée. Ce chiffre est considérable.

Le croiseur cuirassé Léon Gambetta a escorté les convois de troupe et mouillera dans le port de Toamasina, le plus grand de l'île, sur la façade indienne.

Le Léon Gambetta

Un soulèvement populaire n'a pas eu lieu, mais des escarmouches entre ce que la France appelle des bandes de brigands et des soldats français ont lieu de manière hebdomadaire. A chacune d'entre elle, la répression est dure. Les français ont ordre de localiser les villages d'où viennent les insurgés, d'interroger et questionner avec force les populations civiles, et d'emmener les familles dans des tours de force pour plusieurs jours à distance des villages. On estime que dans les 60 derniers jours, pas moins de 3 000 civils malgaches ont été tués ou blessés par les forces françaises, et une cinquantaine de soldats français tués.

Selon le gouverneur en place Marie Casimir Joseph Guyon, la situation est sous contrôle. Mais Paris en doute fortement, et la violence de la répression commence à trouver des échos dans la presse métropolitaine. Ainsi, le 28 décembre 1919, l'ancien gouverneur général Hubert Auguste Garbit est rappelé à son poste et remplace Guyon. Garbit est en effet plutôt apprécié des indigènes, et s'est illustré par sa compréhension de la culture locale et une modernisation de l'agriculture qui a porté de nombreux bénéfices aux malgaches.

Retour au calme à Madagascar :

La nomination de Garbit couplée à la brutale répression militaire semble porter ses fruits. Madagascar est à nouveau pacifiée. Le bilan est lourd, et entre septembre 1919 et janvier 1920, entre 4 000 et 6 000 indigènes ont été tués ou blessés, et une centaine de français ont 80 soldats ont été tués.

Garbit aura déclaré dans la presse locale, abondamment reprise par les habitants, qu'il allait s'atteler à faire de Madagascar une colonie modèle, et continuer à améliorer le niveau de vie des habitants. Il travaillera également à continuer la mission civilisatrice de la France, tout en respectant les us et coutumes locales, notamment les lignages dynastiques malgaches.

La nouvelle est assez bien accueillie, et en janvier, le Leon Gambetta part en direction du port de Toulon, avec à sa suite des transports chargés de 8 000 hommes. Les deux tiers de la force d'intervention quitte ainsi l'île et rentre en métropole.

Mouvement naval vers l'Indochine :

Afin de contrer toute possibilité insurrectionnelle qui viendrait faciliter une invasion nippone, le croiseur Leon Gambetta appareille depuis Marseille le 10 mai et arrivera à la fin du mois au Tonkin. Il patrouillera les côtes indochinoises afin d'assoir dans l'esprit des peuples indochinois la domination française et dissuadera également le Japon.

Suite aux événements ayant eu lieu dans l'Empire britannique et la fragilisation de l'autorité coloniale française faisant suite à l'attaque par le Japon, l'Empire colonial français se voit pris dans une tourmente depuis le début du mois de janvier.

Carte des troubles en janvier 1921

Premièrement, mais c'est un problème bien moins important que le second, l'A.O.F. est perturbée par des révoltes touaregs centrées autour de la région de Tombouctou qui se répandant dans un très vaste espace saharien. La zone est peu peuplée, à part Tombouctou, et c'est plutôt le manque d'hommes qui fait que la région est de moins en moins contrôlée par les autorités coloniales.

Deuxièmement, et c'est bien plus grave, dans un triangle formé par les villes algérienes de Batna, Biskara et Bou Saada, plusieurs attaques ont eu lieu sur des représentants français. Un couple de colons originaires de Carcassonne a été agressé le 4 janvier, un policier français tué le 9 janvier et on a retrouvé une école incendiée et un drapeau tricolore couvert d'excréments le 12 janvier à Biskra.

Les troubles ne touchent ni la côte ni de grands centres urbains centraux, mais déjà la Légion Etrangère a reçu ordre de pacifier le "triangle des trois B". 300 légionnaires stationnés dans les départements algériens ont été transférés dans la région et patrouillent désormais les routes de l'arrière-pays à dos de mules et de dromadaires.

Août 1921, Batna :

Dans le centre-ville de Batna se trouve le commissariat de police. Rue de la République, le petit bâtiment peint à la chaux blanche ne paie pas de mine, mais ici comme ailleurs chaque petite ville dispose d'un commissariat, parfois d'une école. On y entre par des marches, et on accède alors à une petite salle. Un officier de police métropolitaine est là, accompagné d'un légionnaire. Ils jouent aux cartes sur une table en bois qu'ils ont acheté au souk local.

Au sol, une trappe en bois. Elle mène à un long couloir aux murs de bétons, illuminé d'une seule ampoule. Et au fond du couloir une porte en bois peinte en bleu ciel. De derrière la porte s'échappent des cris de douleur en arabe et des rires en français.