Révolte arabe de 1920
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Révolte arabe de 1920
Devlet-i ʿaliyye-i ʿos̲mâniyye
Etat ottoman exalté
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Les Lions de la Bekaa.
Mahmoud passa la tête par la fenêtre ouverte de la locomotive, jetant un dernier regard admiratif sur le Mont Liban qui, progressivement, disparaissait au loin. La plaine de la Bekaa se réduisait elle aussi, tandis que la gare de Rayak paraissait de plus en plus petite. Au loin, le son des cloches de l’église de la petite cité était de moins en moins perceptible, couvert par la distance et le bruit de l’engin, au plus grand plaisir de ce turc qui exécrait les chrétiens. Pourtant, si la montagne était belle, il ne pouvait imaginer qu’autant de grecs catholiques peuplaient les environs. S’il avait l’habitude de faire cette route régulièrement, ses sentiments ne changeaient guère, et l’homme réagissait toujours de la même manière. Quelques heures plus tôt, il avait quitté Beyrouth, capitale du Liban, pour rejoindre Damas. C’était l’un de ses trajets favoris, car, lui qui était originaire du Taurus, avait l’impression de revoir son pays natal en traversant le mont Liban et l’Anti-Liban. Il en était pourtant loin, mais espérait un jour y retourner définitivement.
Après très précisément 55,9 kilomètres de route, il avait dû faire une pause, comme à l’accoutumée, pour changer de locomotive. Si celles à crémaillère étaient idéales pour le premier tronçon de route, les choses se gâtaient dans la plaine de la Bekaa, et il fit sa traditionnelle pause à Ma'alaqah pendant que les ouvriers de la prestigieuse Société ottomane des chemins de fer s'affairaient à raccrocher son train à une locomotive à adhérence, plus appropriée pour le reste de la route. Pendant ce temps, le trentenaire avait prié - c’était l’heure - et pris un thé en gare, avec quelques pâtisseries locales dont il raffolait, au grand désespoir de son épouse qui le trouvait de plus en plus gras avec le temps. Comme souvent, l’homme se contentait de soupirer et de hausser les épaules aux remarques désagréables de sa compagne, avant de l’inviter poliment à retourner à ses tâches. Si elle l’agaçait, il l’aimait tout de même, et avait placé sa photo de mariage dans la cabine de la locomotive, la faisant voyager avec lui.
Ma'alaqah passée, Mahmoud avait conduit son train jusqu’à Rayak, sans s’y arrêter. Sur les bas-côtés, les enfants s’étaient amassés pour saluer le chauffeur et son attelage mécanique. A son habitude, il tira sur la ficelle de la sirène, au plus grand bonheur des gamins qui entendirent le fameux tchou tchou. Ce n’était rien pour Mahmoud, mais c’était beaucoup pour ces gosses dont la journée était égayée. Un petit plaisir quotidien, qui un jour, avait été dramatique, un enfant trop près de la ligne avait trébuché et finit sous le train. Le chauffeur turc en faisait encore des cauchemars, six ans après, et cette macabre scène lui revint à l’esprit. Il tira quelques lattes sur sa cigarette, avant de la jeter par la fenêtre, pour disperser ce souvenir qu’il regrettait amèrement chaque jour qu’Allah lui permettait de vivre, bien qu’il n’y était pour rien dans cette affaire. Mais son sentiment de culpabilité était bien plus fort que la raison.
Le train poursuivait son chemin, paisiblement. Devant Mahmoud se dressait désormais l’Anti-Liban. Pendant qu’un avion militaire ayant décollé de l’aérodrome de Rayak, construit pendant la Grande Guerre avec l’assistance des allemands, survolait le train, le brave turc contemplait qu’à lui, en contrebas, la rivière Nahr Yahfufah qui s’écoulait jusqu’au grand fleuve Litani. Au fil des siècles, l’eau avait creusé une vallée qui constituait l’un des points de franchissement de l’Anti-Liban. Les Français, quelques décennies plus tôt, y avaient construit la ligne de chemin de fer Beyrouth - Damas, désormais propriété nationale de l’Empire. Sans arrêt, le train traversa la petite bourgade de Yahfufa, réitérant le rituel avec les enfants, avant de poursuivre sa route vers Serghaya et ses 1370 mètres d’altitude. De là, il tournait souvent la tête pour admirer toute la plaine de la Bekaa, et le mont Liban, au loin, un paysage sublime que Mahmoud appréciait à chaque fois. C’était un homme qui savait jouir des petits plaisirs de la vie, d’autant plus après toutes ces années de guerre pendant lesquelles il avait été mobilisé et avait conduit des milliers de soldats à la mort en Syrie, avec l’aide des déportés Arméniens.
Mais ce petit plaisir prenait soudainement fin. Alors que Mahmoud contemplait la vue, cigarette à la bouche, son collègue, quant à lui plus attentif à ce qu’il se passait devant, hurla dans la cabine. Le chauffeur n’eût le temps de réagir, à peine de sursauter, avant d’être tué par une rafale de balles. Cachés derrière des rochers et des buissons, plusieurs dizaines de rebelles arabes criblaient de balles le véhicule, avant qu’une explosion ne retentisse. Dans un bruit assourdissant, la locomotive dérailla et emporta le train tout entier dans le gouffre, avant de s’écraser quelques dizaines de mètres plus bas dans le lit de la rivière. Les rebelles cessèrent rapidement de tirer, tandis que les corps de centaines de soldats ottomans jonchaient le train et ses alentours, pour ceux qui étaient tombés pendant la chute. L’objectif était atteint : une partie du régiment qui avait massacré les rebelles de Beyrouth, quelques semaines plus tôt, était anéantie, et l’action fut bien rapidement revendiquée par la milice arabe des Lions de la Bekaa, qui s’était déjà fait connaître pendant la grande révolte arabe.
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Le Prince de Beyrouth.
En quelques jours seulement, la nouvelle de l’attaque du train militaire aux alentours de Serghaya s’était répandue comme une traînée de poudre à travers le Liban, mais également une bonne partie de la Syrie, dont Damas. Les Lions de la Bekaa, dont la participation à la Grande Guerre leur avait assuré un certain soutien parmi la population arabe musulmane, étaient acclamés par les élites arabes mais également par une partie de la population, lasse de siècles de domination ottomane. A Beyrouth, des cris de joie éclatèrent spontanément lorsque des émissaires vinrent proclamer la bonne nouvelle dans les établissements de la ville : les six cents civils massacrés par l’armée ottomane en mars dernier étaient vengés. Pas une seule communauté religieuse n’avait manqué, à sa manière, de faire savoir sa satisfaction, bien que ces célébrations furent rapidement interdites par le gouverneur ottoman, avec le renfort de la Teşkilât-ı Mahsusa.
Depuis sa maison familiale située dans le quartier musulman d’al-Musaytiba, Salim Ali Salam, président de la municipalité de Beyrouth ne pouvait cacher sa satisfaction. Ce richissime sunnite, homme politique de premier plan du Liban, et représentant à la Chambre des Députés de l’Empire, était devenu au fil des années un farouche opposant à ce même Empire. Lors de l’annexion de l’Azerbaïdjan, il avait été le chef de file des députés arabes quittant l’hémicycle pendant qu’Enver Pacha pérorait et que les députés azéris faisaient leur entrée. Sept ans auparavant, il avait été l’un des acteurs majeurs du Congrès général arabe, lors duquel les représentants arabes de l’Empire avaient réclamé davantage d’autonomie. En vain : le Comité avait refusé, et la Grande Guerre avait balayé ce qu’il leur restait d’espoir. Alors, l’autonomisme s’était naturellement transformé en indépendantisme dont Abou Ali était l’une des voix les plus écoutées.
La légende voulait que rien ne se passait à Beyrouth et dans le Liban sans qu’Abou Ali en soit informé, voire l’approuve. A son habitude, Salim Ali Salam recevait dans sa demeure, qui surplombait tout le quartier depuis qu’un troisième étage avait été construit par ses soins, les doléances des Beyrouthins. Mais aujourd’hui, c’étaient les barbouzes de la Teşkilât-ı Mahsusa qui vinrent lui rendre visite, non pour obtenir ses conseils ou son accord, mais pour l’appréhender. La menace qu’il représentait pour l’autorité ottomane était devenue trop importante, et après quelques faux documents habilement rédigés pour prouver son implication dans l’attaque de Serghaya, Djemal Pacha, ministre et gouverneur de Syrie, avait ordonné son arrestation et sa mise en accusation, avec le concours et la bénédiction de son collègue Talaat Pacha.
L’entrée des miliciens de l’Organisation spéciale dans le quartier n’était pas passée inaperçue, ni leur trajet jusqu’à la demeure du prince de Beyrouth. Quelques badauds les avaient insultés, tout en les suivant. Quelques minutes passèrent, comme une éternité, après qu’ils furent entrés dans la maison d’Abou Ali. Des éclats de voix en provenance de son bureau alertèrent les passants, et la foule curieuse qui s’était entassée devant sa maison ne tarda pas à bousculer et à piétiner les quelques barbouzes postés devant, malgré les coups de feu, avant d’envahir les lieux et de secourir un Salim Ali Salam le visage ensanglanté des mains des miliciens, rapidement passés à tabac par la foule. Sitôt les officiers turcs mis hors d’état de nuire, leurs corps furent traînés dans le quartier et jetés à même le sol, couverts de sang, de crasse, et de crachats.
La nouvelle ne tarda pas à se répandre dans toute la ville, provoquant des émeutes contre les autorités ottomanes. La présence militaire ottomane réduite, depuis le départ d’une partie de la garnison à la suite de la précédente révolte matée, ainsi que la destruction partielle du chemin de fer Beyrouth - Damas, empêchaient toute répression rapide par les autorités. Ce qui évita un nouveau bain de sang terrible pour les Beyrouthins, qui venaient d’incendier la résidence du gouverneur, contraint à la fuite, et de s’emparer des locaux de l’Organisation spéciale dont les miliciens furent passés à tabac et, pour nombre d’entre eux, tués, à l’instar de soldats. Beyrouth se soulève de nouveau, cette fois pour la liberté, alors que l’autorité impériale ottomane paraît plus que jamais discréditée dans la région.
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Le Protecteur des Deux Mosquées.
En cette fin juillet, la chaleur était étouffante dans le désert du Hedjaz. Les kouffars d’Europe, habitués à des climats plus cléments, ne résisteraient pas à de telles températures, eux qui crient à la canicule dès que le thermomètre dépasse les 20°. Mais rien n’empêchait l’imposante caravane d’'avancer à travers les montagnes ensablées. Au moins deux cents chevaux et chameaux transportaient autant d’hommes, protégés du soleil par de sublimes keffiehs finement tissés et ornés de maints dessins. En tête de ce cortège se tenait Fayz Bey el Azm, un damascène issu d’une des plus grandes familles de notables de la ville, ayant dirigé la Syrie pendant plusieurs décennies, et dont le père était député au Parlement ottoman, avant d’être pendu par les Turcs. Il avait mené l’armée du nord lors de la grande révolte arabe, aux côtés de Faysal et de Laurence d’Arabie, et après la défaite de l’Entente et la reconquête ottomane de ses provinces arabes, Fayz s’était réfugié dans les hauteurs du Hedjaz pour se faire oublier, tout en restant en relation avec ses frères d’armes.
Fayz Bey el Azm et son flow légendaire, fixant l’horizon en direction de La Mecque
Quelques jours plus tôt, l’émir Yazbek, secrétaire de Faysal, était revenu incognito des alentours de Médine, un message à la main. Les évènements de Beyrouth du 10 juillet s’étaient propagés à travers les provinces arabes, et un émissaire acquis à la cause arabe avait pris le train depuis Damas jusqu’à Médine pour apporter la nouvelle. Le bras droit du Hachémite se chargea ensuite de la faire connaître à ses différents contacts, qui, dès le 20 juillet, se réunirent dans les montagnes pour prendre les décisions qui s’imposaient. Sitôt la réunion achevée, tous se mirent en route vers La Mecque. La ville sainte de l’Islam était aux mains d’un chérif turc depuis l’éviction de Hussein ben Ali de cette charge, et Ali Haidar Pasha l’avait formellement remplacé à compter de 1918 et la défaite alliée. Ali, après avoir survécu à quelques assassinats, s’était réfugié dans les montagnes, attendant son heure qui semblait enfin être venue. L’agitation arabe depuis plusieurs mois se concrétisait enfin.
Alors que la nuit tombait, l’imposante caravane approchait enfin de La Mecque. Au loin, le calme semblait régner. Mais dans la Ville Sainte, une certaine agitation commençait à s’emparer lentement des badauds, provoquée par quelques émissaires qui annonçaient les nouvelles de Beyrouth, au grand dam de la garde ottomane qui craignait une révolte, tant elle était faiblement constituée : trois cents soldats et vingt-cinq cavaliers. Lieu sacré oblige, la présence militaire était réduite à une portion congrue, tandis que le gros des troupes ottomanes était entre Djeddah et Médine, sous la ferme direction du Lion du Désert, Fakhri Pasha. Fayz Bey el Azm en était pleinement conscient, et escomptait profiter de l’occasion pour s’emparer de la cité, et ainsi donner une nouvelle impulsion à cette agitation qui secouait le monde arabe. Nonobstant la fin du soutien de l’Entente et deux défaites, d’aucuns gardaient l’espoir qu’à force de révoltes, l’Empire s’effondrerait sur lui-même.
Quelques heures plus tard, la caravane s’était divisée en plusieurs groupes de plus faible taille, pour entrer par différentes routes dans La Mecque. Une trentaine de cavaliers était resté plus loin, en dehors, patientant. Le muezzin appela la Salat Icha, et tous se mirent à prier. Les quatre rak'ahs récités, Fayz Bey el Azm fit signe à ses hommes. Chacun sortit son arme et vociféra quelques injures envers les Ottomans, et la révolte de La Mecque débuta. Lorsque le muezzin appela la Salat Fajr, la ville était libérée, et la garde était soit massacrée, soit prisonnière. Le chérif Ali Haidar Pasha fut traîné à travers les rues de la ville, avant d’en être sorti. Agenouillé sur le sable, il leva les yeux lorsqu’un cheval s’approcha de lui. Il n’eût que brièvement le temps de voir le visage du cavalier avant que le sabre manié par Fayz Bey el Azm ne le décapita. Hussein ben Ali, lui, entra dans La Mecque et, après avoir prié à la Kabba, reprit possession de sa maison et de son titre de Chérif et d’Emir de la Ville Sainte.
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Re: Révolte arabe de 1920
EMPIRE OTTOMAN
Brève
EvènementLes troubles se répandent à travers les provinces arabes de l'Empire. Après la révolte de Beyrouth et la reprise de La Mecque, l'imam Yahya Mohammed Hamid ed-Din a déclaré l'indépendance du Yémen ottoman le 10 septembre 1920. Jouissant déjà d'une relative autonomie depuis le début du siècle, le vilayet avait vécu en indépendance de facto durant la Grande Guerre, et la Sublime Porte n'avait su restaurer son autorité. Après quelques combats sporadiques opposant la garnison ottomane aux miliciens fidèles à l'imam, ces derniers ont chassé l'armée impériale du vilayet, permettant ainsi à Yahya de proclamer la création du Royaume mutawakkilite du Yémen, s'étendant à la majeure partie de l'ancien vilayet. Les régions sunnites du nord d'Asir et de Jizan, sous l'autorité de l'émir Sayyid Muhammad ibn Ali al-Idrisi, échappent néanmoins à ce contrôle bien que nominalement intégrées à ce vilayet et sont réunies au sein de l'Émirat idrisside d'Asir.
En parallèle, à Beyrouth, les principaux dirigeants arabes de Syrie se sont réunis clandestinement, avec la présence notable de Lawrence d'Arabie, dans le cadre du Congrès général syrien. Si les musulmans étaient majoritaires à cette réunion présidée par Salim Ali Salam, de nombreux représentants chrétiens et juifs étaient également présents. Lors de ce Congrès fondateur tenu le 14 septembre, les dirigeants se sont accordés pour demander l'indépendance de la Syrie vis-à-vis de l'Empire ottoman, revendiquant un Etat indépendant s'étendant sur la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie. Outre cette indépendance, plusieurs principes généraux ont été adoptés par les dirigeants, notamment celui de la tolérance envers les minorités ethniques et religieuses, et l'égalité juridique entre elles, ce qui emporte un certain écho auprès des populations chrétiennes et juives, certes minoritaires, mais dont les communautés forment une partie non-négligeable de la population. La question de la forme du régime a néanmoins été laissée en suspens, aucun accord n'ayant été trouvé entre la république ou la monarchie.
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Le palais des chimères.
L’ambiance était des plus maussades au palais du Topkapı, siège du Conseil impérial. Les évènements des provinces arabes préoccupaient naturellement l’ensemble des ministres, qui suivaient au jour le jour les nouvelles apportées de Bagdad, de Beyrouth, de Damas, de Halep, de Médine, de La Mecque ou encore de Sana’a. Du moins, quand elles parvenaient jusqu’à Constantinople. Les principaux dirigeants ottomans avaient les yeux cernés, témoignant d’un manque de sommeil important. Certains étaient manifestement las de la situation : cela faisait bientôt dix ans que l’Empire était en guerre. Soit contre ses voisins directs, soit contre une partie de l’Europe, soit contre ses propres sujets. La fin de la Grande Guerre était censée marquer la fin des combats, mais ils se poursuivaient : la reconquête des territoires perdus aux mains de l’Entente, leur maintien dans le giron impérial, et désormais, de nouveau leur reconquête.
L’annonce de l’indépendance du Yémen, aussitôt condamnée par la Sublime Porte, puis la réception des revendications du Congrès général syrien furent comme deux coups de poignards de plus plantés dans le corps déjà ensanglanté d’un Empire qui ne tenait plus que par la force. C’était aussi la conclusion logique, mais tragique, de décennies de renoncements et de politique de l’autruche, de tentative forcée de turquification d’une pluralité de cultures différentes au détriment de leurs spécificités, et de cécité quant aux demandes jadis formulées. L’autonomie, la décentralisation, la liberté. Tout avait été fermement balayé par le pouvoir central, qui se prenait désormais un violent retour de bâton. Là où, autrefois, les peuples demandaient l’autonomie au sein de l’Empire, ils demandaient désormais l’indépendance. Les coups d’Etat du Comité, la politique centralisatrice, les échecs militaires successifs, tout avait fait voler en éclat l’unité impériale.
« – Les révoltes peuvent être contenues par la force, assura Cemal Pacha, l’air confiant, de retour en catastrophe de Damas depuis laquelle il gouverne la Syrie je l’ai déjà montré il y a quelques années. Quelques massacres calmeront les foules, regardez Bagdad, la décimation de la ville a calmé toute ardeur belliqueuse à l’égard de l’Empire.
– Voilà les foules tellement calmées qu’elles exigent leur indépendance, et votre tête rétorqua le Grand Vizir, manifestement agacé par les propos de son collègue.
– Si l’Organisation spéciale avait œuvré comme il se devait à l’époque, et comme je l’avais suggéré, tous les principaux dirigeants arabes auraient été exécutés, et leurs idées seraient mortes avec eux ! ajouta le ministre-gouverneur, fixant particulièrement son collègue de l’intérieur.
– Bien ironique que vous rejetiez la faute sur mon Organisation dont vous vous êtes évertué, à l’époque, d’en freiner les actions en sauvant des dizaines de milliers d’Arméniens de la déportation, idiotement convaincu qu’ils pourraient s’intégrer si on le leur demandait releva, non sans un certain sarcasme teinté de rancune, Talaat Pacha. Votre incapacité à administrer vos territoires, voilà la raison de la situation : vous fûtes incapable de les gérer, vous les perdîtes, infoutu que vous avez été de combattre l’Entente, et nous vous les avons redonnés, finalement pour que vous les reperdiez de nouveau. »
Le Grand Vizir plissa longuement ses yeux, avant de laisser s’échapper un soupir audible. Quand il les rouvrit, son regard se perdit dans celui du Ministre de la Guerre, jusqu’ici relativement discret. C’était à prévoir que ce qu’il restait du triumvirat s’entretuerait à la première occasion, et la mort d’Enver Pacha fut un accélérateur, d’autant plus que les deux survivants se haïssaient notoirement depuis - et déjà pendant - la Grande Guerre du fait de leurs oppositions idéologiques de plus en plus importantes au sujet des minorités, l’une des questions les plus brûlantes de l’Empire. Les échanges d’amabilités se poursuivirent pendant de longues minutes, les deux hommes semblant presque manquer d’en venir aux mains, avant qu’Ahmet Rıza ne rétablisse un semblant de calme, rapidement rompu par Talaat Pacha.
« – La question arabe doit être traitée comme la question arménienne !, s’exclama le ministre de l’Intérieur, totalement à côté de la plaque, et l’Organisation spéciale, forte de son expérience en la matière, saura mater ces rebelles.
– Encore faudrait-il qu’elle soit encore capable d’agir dans ces territoires, non ? interrompit Mustafa Kemal, sortant de son silence. Après tout, plusieurs garnisons ont été réduites à néant par les rebelles, et contraintes à s’enfuir. Les miliciens de Sultan el-Atrache ont détruit une partie de la ligne menant de Damas à Médine, le général Fakhri Pasha est cerné entre Médine et Djeddah avec une dizaine de milliers d’hommes, sans possibilité d’être renforcé avant plusieurs semaines. Nos avant-postes sont harcelés, Damas s’agite et les exécutions publiques de scélérats attise davantage la haine que la peur.
– Alors envoyez plus de troupes, Maréchal ! interrompit le ministre de l’intérieur.
– Avec deux cent mille soldats encore en activité, tous les autres ayant été renvoyés chez eux depuis plus d’un an, comment voulez-vous que je tienne ? rétorqua, désabusé, le héro des Dardanelles. Et quand bien même, nous venions à écraser ces révoltes et à récupérer ces terres, que ferions-nous ensuite ? Accorder plus d’autonomie aux Arabes qui veulent l’indépendance ? Les massacrer, et dépeupler davantage notre Empire si vaste mais dont des régions entières sont vides ?
– Bah, oui ! affirma Talaat. Ces peuples valent moins à mes yeux que leurs terres, que nous dominons depuis plus de quatre siècles. Elles sont nôtres, et regorgent de richesses qui nous appartiennent. Appelons à l’aide les Allemands, s’il le faut ! »
La discussion, parfois totalement tellement atmosphérique que même Enver Pacha était monté moins haut lors de l’attentat à la bombe pendant lequel il périt, dura plusieurs heures. Un semblant d’accord parvint néanmoins à être trouvé en définitive : Talaat Pacha irait à Berlin pour jouer de ses relations auprès du Kaiser et de son gouvernement, afin d’obtenir un soutien militaire, tandis que Mustafa Kemal irait reprendre méticuleusement les territoires révoltés pour y restaurer l’autorité impériale, jusqu’au Yémen. Ce qu’il restait de la marine irait soutenir la garnison du Hedjaz pour une partie, et pour l’autre partie, se placerait devant Beyrouth et le long de la côte méditerranéenne pour menacer, et au besoin bombarder. Et ensuite ? Advienne que pourra, il y aurait bien d’autres réunions du conseil impérial pour déterminer les suites politiques de cette reconquête musclée de l’Empire.
Mais sitôt la réunion terminée, chacun s’empressa d’agir selon sa bonne volonté. Avant de partir pour Berlin, Talaat Pacha s’assura auprès du dirigeant de l’Organisation spéciale, Bahaeddin Şakir, de la mise en place rapide de déportations massives d’Arabes, en commençant par les zones encore sous contrôle impérial, malgré l’avis contraire du conseil. Cemal Pacha, quant à lui, donna bien les ordres, mais décida de regagner Damas pour reprendre ses activités locales au lieu de rester à Constantinople. Quant à Mustafa Kemal, le Maréchal fit donner des consignes à ses généraux d’assurer la sécurité des territoires sous contrôle, et de se préparer à la reconquête là où que nécessaire, mais aussi de cesser toute expédition dans les zones disputées pour se maintenir aux casernes et repousser les assauts. Puis il se redirigea immédiatement au ministère, où il convoqua le chef de la Müdafaa-i Milliye Cemiyeti et Fevzi Çakmak, général de la 1ère armée et fidèle parmi les fidèles.
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Re: Révolte arabe de 1920
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La drôle de guerre.
................A travers l’Empire, la plus grande des confusions règne. Le coup d'État du 4 octobre a semé un trouble, y compris au sein des armées. Bien que largement loyales au maréchal Kemal, de nombreuses divisions ne surent pas, pendant plusieurs jours, à quel saint se vouer, se contentant de rester au sein de leurs casernes et à les défendre en cas d’assauts rebelles. Ce n’est qu’à la mi-octobre, lorsque la situation sembla se stabiliser à Constantinople, que l’état de quasi-paralysie militaire dans lequel était plongé l’Empire prit fin, quand enfin il était clair que Kemal assurerait désormais la direction du pays avec les pleins pouvoirs le temps de la crise, grâce à l’approbation du sultan Mehmed VI - qui n’eût guère le choix, il faut dire, que de donner son aval au coup de force du populaire maréchal et héro des Dardanelles.
................Les élites ottomanes n’en demeurent pas moins dans un certain état d’atonie quasi-généralisé. D’un côté, la nostalgie de la grandeur et de la puissance impériales les porte à promouvoir une reconquête armée des territoires arabes, quoi qu’il en coûte. Mais, d’un autre côté, après une décennie de conflits successifs, la population aspire à la paix, et les élites aussi, qui y voient des pertes financières considérables. Même si une défaite les conduirait à perdre des marchés. Le discours du Maréchal Kemal devant l’Assemblée générale contribue largement à cet état, d’autant que l’homme n’a pas caché sa volonté d’en finir rapidement avec cette question arabe qui empoisonne depuis plusieurs années désormais la politique impériale et qui conduit, depuis deux ans, à des opérations de maintien de l’ordre régulières à la suite de la Grande Guerre.
................En ce sens, le nouveau Divan impérial constitué par Kemal s’est empressé de mettre en œuvre les différentes directives du nouveau Grand Vizir. La première, et non des moindres, est la cessation immédiate des déportations, exécutions et massacres d’Arabes par la Teşkilât-ı Mahsusa, et qui ont déjà fait plusieurs dizaines de milliers de victimes à travers l’Empire. La deuxième, c’est le renforcement des positions militaires ottomanes dans certaines provinces arabes par l’envoi d’un corps expéditionnaire de cent mille soldats au total afin d’assurer - ou de restaurer - l’autorité impériale. Ce qui passe par l’abandon du Hedjaz, où la position apparaît difficilement tenable, afin de réaffecter les soldats vers Damas. La troisième, et qui concerne Damas, est la destitution de Cemal Pacha de ses fonctions de gouverneur de Syrie et son remplacement par un proche de Kemal. Enfin, la quatrième est l’envoi d’un émissaire auprès du Congrès général syrien à Beyrouth pour entamer des négociations avec les dirigeants syriens et indépendantistes arabes pour trouver une issue honorable à la guerre.
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